Richards plongé dans le silence de la nuit guette un rayon de lumière qui traverse la salle d’hôpital où il a été admis depuis bientôt trois mois. Ce quadragénaire s’est retrouvé ici sans savoir pourquoi. Un grand mystère plane sur sa maladie et cela l’inquiète grandement car il connaît d’autres personnes qui sont décédées dans des conditions similaires. Les médecins se défilent autour de son lit d’hôpital pour comprendre ce qu’il lui arrive mais la raison de son piteux état reste mystérieuse.
Tout allait bien pour lui. Il avait fait de brillantes études dans le domaine de l’ingénierie. Diplôme en main, Richard avait trouvé de l’emploi dans l’entreprise Colas et il avait rapidement grimpé les échelons pour devenir chef de chantier. Sur le littoral de l’est, Richard a bâti une magnifique maison, il a aussi acheté la voiture de ses rêves, une Toyota Hilux et comme il est un passionné de la natation, il s’est fait construire une belle piscine.
Mais peu à peu Richard s’est vu se sentir mal et même trop mal. Tout a commencé avec des migraines fréquentes, ensuite quelques organes commençaient à mal fonctionner et pour finir c’est le cœur qui était irrégulier. Son médecin soignant a essayé de comprendre comment un homme qui s’occuper autant de lui pouvait évoluer dans cet état. Le rapide déclin de sa santé avait encore plus attiré son attention. La semaine dernière, les médecins ont dû admettre Richard dans l’unité des soins intensifs et ils lui ont fait une première dialyse. À cause de ses grands soucis de santé, les reins ont fini par lâcher.
Aujourd’hui Richards est au plus bas. Ce soir, c’est Lonny qui est l’infirmier surveillant et comme à l’accoutumé, il fait son tour pour voir si l’unique patient de l’unité se porte bien. Son collègue se reposant, l’infirmier s’arrête un moment en face du patient et le regarde fixement. Au plus profond de lui, il se dit :
- Ce patient peut « kas lapay » à tout moment. Je dois le surveiller de près et je prie pour que cela n’arrive pas pendant mes heures de services.
Alors qu’il a le regard posé sur Richards en étant plongé dans ses pensées, Lonny le voit agité et de sa main, il l’appelle.
- Avez-vous besoin de quelque chose ?, lui dit-il.
- Donnez-moi un peu d’eau s’il vous plaît. J’ai la gorge sèche.
Lonny s’exécute et il constate que son patient se porte beaucoup mieux après qu’il est eu son eau. L’infirmier s’apprête à tourner le dos afin de regagner la cabine des infirmiers lorsqu’il entend son patient soupirer comme s’il voulait parler.
- Alors comment vous sentez-vous Mr Bernard ?
- Je n’en peux plus vous savez. Si j’étais dans un de ses pays qui permet de piquer le patient je le ferai.
- Non, il ne faut pas parler ainsi. Tout va aller mieux. Tenez bon et soyez patient.
- Vous êtes tous des vendeurs de rêves. Je souffre. Les médecins ne savent même pas pourquoi et tout le monde me dit que « Tout ira pour le mieux ! » Je n’en peux plus, je veux mourir le plus vite possible.
Lonny garde un long temps de silence. Il n’a qu’un désir en tête, en finir avec cette conversation et filer le plus vite possible. C’est dur de savoir que vous faites tout ce qui est de votre ressort pour aider quelqu’un et de voir que cette personne a déjà jeter l’éponge. C’est comme nager à contre-courant.
- Voulez-vous savoir comment tout a commencé ?, lui lance Richards.
- Je vous tends mes oreilles.
- Je suis né dans une famille très pauvre. J’ai galéré afin de pouvoir m’en sortir. Aujourd’hui si j’ai tout ce qu’il me faut, c’est uniquement parce que j’ai travaillé très dur avec beaucoup de rigueur et de sérieux. Mon tourment a commencé par des choses bizarres que j’ai vues dans l’enceinte de ma maison. Du sang et des restes d’animaux, toutes sortes de poudres, des morceaux de papiers et de tissus ou encore des bougies rouges allumés. Au début, je n’y croyais pas du tout car j’ai reçu une formation scientifique très approfondie et rigoureuse. Donc, J’ai fait comme si tout allait pour le mieux. Mais ensuite, les relations sont devenues presqu’invivable à la maison. Avec ma femme et mes enfants, c’était toujours très tendu. Nous disputions sans raison. Et puis, j’ai commencé à avoir des soucis de santé et c’est allé en crescendo. Un ami m’a dit d’allait voir des « dimounn ki konn fer lapriyer ». J’ai résisté pendant longtemps mais j’ai fini par craquer car les ennuis étaient insoutenables. Tout le monde le faisait, alors j’y suis allé bêtement. Ces gens sans scrupule m’ont demandé beaucoup d’argent mais mon état de santé allait de mal en pis de jour en jour. Je voulais m’en sortir à la force de mes poignets, donc j’ai payé. Après 10 ans de vie commune, ma femme m’a quitté et elle a pris avec elle les enfants. Je me suis donc retrouvé seul à combattre comme les maux qui m’assenaient de toute part. J’ai rencontré un vieil homme qui m’a conseillé d’aller voir un prêtre mais jusqu’à maintenant je n’ai pas eu le courage de le faire. Aujourd’hui je pense être arrivé à un point de non-retour et je ne souhaite plus que la mort. C’en ai fini de mon sort, je n’attends plus que la mort.
Voyant l’infirmier avec des larmes aux yeux, Richards s’arrête un instant et reprend.
- Vous pleurez ?
- Oui, votre histoire est si triste.
- Laissez-moi continuer un peu et je vous direz tout. Comme je vous disais, je ne croyais pas dans les affaires de sorcellerie, de longanis ou de deviner jusqu’au jour où alors que je rentrais chez moi, j’ai vu un groupe de personnes dans une croisée aux petites heures du matin. Je me promenais à pieds et je les ai entendu parler à un bouc et prononcé des mots terrible : « Richards, tu vas mourir dans l’état le plus terrible. Tu souffriras énormément et tout ce que tu possèdes partira en poussière. Tout le monde dans ta famille va t’abandonner et tu crèveras seul dans une terrible ! ». En voyant ces personnes ainsi lancer leurs incantations, j’ai eu peur et je suis parti la boule au ventre du lieu où j’étais caché. Le lendemain pour être sûr que je ne rêvais pas, je suis revenu sur le lieu et c’est terrible ce que j’ai vu. Le bouc avait été égorgé sans pitié, les entrailles étaient répandues de toute part et j’ai vu une photo de moi attaché dans une bouteille avec des mots étranges écrits dessus. Depuis ce jour, mes problèmes de santé se sont aggravés et je ne compte plus les fois où j’ai été admis dans votre hôpital. Personnes ne comprend rien à ce qui m’arrive et quand je raconte mon histoire, tout le monde dit que je suis fou. Vous y croyez, vous, à ces histoire de sorcellerie ?
- Je suis Rodriguais comme vous et j’entends pas mal de choses. De mon côté, je me protège. Je pars à la messe de dimanche, j’assiste aux formations que donnent les prêtres et je prie chaque jour avec cette prière à Marie : « Sous l'abri de ta miséricorde, nous nous réfugions, Sainte Mère de Dieu. Ne méprise pas nos prières quand nous sommes dans l'épreuve, mais de tous les dangers délivre-nous toujours, Vierge glorieuse et bénie. Amen ! » Il m’arrive aussi de dire tout simplement : « Saint Michel archange, défendez-nous dans le combat ! » Chaque année, je demande aussi au prêtre de ma paroisse de venir bénir ma maison. C’est l’occasion aussi pour moi de rassembler toute ma famille. Grâce à tous ces moyens, je me sais protéger par les mains même de Dieu.
- Je vois que vous êtes croyants. Pour ma part, je ne le suis plus, enfin je ne sais pas. J’ai été baptisé et j’ai vécu les rituels sacramentaires comme beaucoup mais ensuite, je me suis égaré en chemin. Aujourd’hui, je me sens vraiment sans défense et je craque. Peut-être que vous voudriez m’aider. Vous savez, j’ai tout essayé avec la force de mes poignets mais cette voie de la spiritualité, je ne la connais pas. Par pitié, aidez-moi s’il-vous-plait !
- Je vous propose d’appeler le prêtre de ma paroisse. Je lui toucherai un mot sur ce que vous m’avez raconté. Il viendra, vous lui parlerez et il vous donnera une bénédiction. Il est plutôt sympathique. Je suis sûr qu’il pourra faire quelque chose pour vous.
- Combien ça coûte ?
- Hihihi, c’est gratuit. Le prêtre est le représentant de Dieu et tout ce qu’il fera sera gratuit. Vous n’avez qu’à vous laisser faire. Je vous propose de préparer votre cœur à la rencontre avec Dieu. Il agira à travers son prêtre et vous trouverez votre guérison. Faites tout simplement confiance.
Lonny ne traine pas et appelle tout de suite le Père Bégué qui est aussi l’exorciste du diocèse. Celui-ci lui confirme qu’il fera un saut à l’hôpital deux jours plus tard pour passer voir Richards. Lonny lui explique tout ce que l’homme lui a partagé et comment sa maladie lui parait être quelque chose qui dépasse l’entendement. Il salue l’infirmier pour son initiative d’avoir proposé au malade de préparer son cœur pour cette rencontre spirituelle. L’homme de Dieu cerne que l’acharnement occulte y est pour quelque chose dans sa maladie. Le fait qu’il a lui-même cédé à consulter des sorciers ne l’a pas aidé.
Deux jours plus tard, le Père Bégué est dans la salle auprès de Richards. Quand il le regarde, son cœur est rempli de pitié. Cela se voit à vue d’œil que l’homme et maigri et qu’il se trouve dans un état de grand bouleversement tant moralement que physiquement. Il demande à Richards de lui conter son histoire sans manquer aucun détail. Au bout d’un quart d’heure Richards termine son récit.
- Qu’est-ce que vous en pensez mon père ?
- Je pense que vous avez une victime de la sorcellerie. C’est clair que ceux qui vous veulent du mal ont fait appel aux forces obscures pour vous nuire. Ils ont voulu vous anéantir et si vous tenez toujours c’est parce que vous avez bénéficié de la protection de la grâce de Dieu. Cependant le fait que vous ne fréquentez pas les sacrements de l’Église depuis si longtemps vous a quelque peu fragilisé.
- Mon père, est-ce que vous allez pouvoir m’aider ?
- Je vous invite à vous fier aux traitements que vous prescrivent les médecins, cela vous apportera un peu de soulagement mais pour la guérison totale, il va aussi nous falloir beaucoup prier. C’est pour cela que je vais vous proposer une série de prières. Je vous donnerai aussi le sacrement des malades. J’ai confiance que vous serez de nouveau sur pieds bientôt.
- Merci Père Bégué.
Pendant des mois et des mois, l’exorciste et son équipe prient avec Richards. De jour en jour, Richards retrouve un regain de santé. Il reprend sa vie de foi qu’il avait délaissée définitivement le jour de sa confirmation. Peu à peu, il prend plaisir à aller à la messe et lire la Bible lui apporte paix et joie. Le père Bégué lui propose aussi de rejoindre le groupe des hommes de sa localité qui se rencontrent mensuellement et d’aller à la louange qui se tient le premier vendredi du mois dans l’église de Notre Dame de Brulé.
Un an plus tard, Richards est un homme renouvelé. Il jouit d’une meilleure santé et grâce à la prière, il a repris beaucoup de force. Au plus profond de lui, il se sent plus équilibré et la spiritualité lui fait le plus grand bien. Une fois qu’il se porte beaucoup mieux, le prêtre le laisse prendre son envol en insistant sur les moyens proposés. Dans le groupe, de prière, Richards a aussi fait la rencontre de Sandrine avec qui il s’entend très bien.
Un vendredi à 15hr00, Richards allume sa radio et il tombe des nues :
- En grand titre, un réseau de personnes pratiquant la sorcellerie a été démantelé. La police a procédé à plusieurs arrestations et parmi des personnalités qu’on ne pouvait soupçonner se livrant à ses pratiques répréhensibles par la loi. Nous vous communiquerons plus d’information dans les prochaines heures.
Ce soir Richards s’endort dans la paix. Il regarde par sa fenêtre et voit au loin la lumière de la lune. L’homme libéré balbutie sa prière intérieure et glisse sur ses lèvres quelques mots d’une lettre pastorale de Mgr Alain Harel:
- Bondie pli for ki lemal !
Père Jean Rex CASIMIR
In le Roman Incomplet
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